mercredi 28 décembre 2016

Terra

Je me suis longtemps demandé par quelle musique j’allais commencer cette rubrique. Le but n’étant pas de faire un classement, il n’y a aucun ordre. Mais il y a toujours cette question “Par quoi vais-je commencer ?”.


La réponse était somme toute évidente, et pour plusieurs raisons. Le but de cette rubrique est pour moi de partager des musiques de jeux video, et l'univers musical de Final Fantasy m'a bercé et me berce encore, rares sont les jours où je n'écoute pas, ne siffle pas, ne chantonne pas, au moins une musique tirée de cette saga.
L’univers musical de Final Fantasy est tellement connu maintenant que beaucoup d’artistes se sont lancés dans des reprises, des versions a capella, orchestrales, au piano, officielles ou non, et à coté de cela il y a aussi les versions originales, directement tirées des jeux, que ce soit les premières versions ou les nouvelles, remasterisées pour nintendo DS, PC, téléphone etc.
Cette version mariachi du thème de Terra dans Final Fantasy VI m’est donc apparue comme appropriée pour le premier post. 
En premier lieu parce que le thème de Terra a une importance majeure dans l’univers musical de Final Fantasy. Cette introduction du sixième volet, considéré par beaucoup comme l’un des (le) meilleurs de la série, cette marche de Terra sur son magitech, que l’on a découvert au tout début de notre aventure avec ce jeu, est à part dans le coeur de beaucoup de joueurs. Je ne développerai pas plus par peur de spoiler, car si vous n’avez jamais joué à ce volet et que vous aimez les J-RPG, je m’en voudrais, et cela serait impardonnable de vous gacher le plaisir de découvrir toute l’étendue du monde Final Fantasy VI. 

Et deuxièmement cette version mariachi pour appuyer le fait qu’il ne s’agira pas uniquement de musiques en version originale, ou officielle mais de toute version qui pour moi respecte le modèle de base mais peut aussi parfois apporter sa touche personnelle.
Je vous invite d’ailleurs à découvrir les autres vidéos de cette chaine youtube qui ne manquera pas, je l’espère de vous surprendre. (Thème de Vega de Street Fighter <3).


Yggdrasil Chapitre 7

Chapitre 7

Le sable était un vrai poison, il empêchait tout appui stable et compliquait chaque pas, la visibilité était quasi nul à quelques mètres. Il aurait pu y avoir un ravin, un fossé, un piège, aucun moyen de le savoir avant d’en être victime avec ce brouillard de particules aussi dures que minuscules. Il se glissait partout, dans les chaussures, sous les vêtements. Il remplissait les narines, la bouche, la gorge. Il provoquait des quintes de toux, dans un cercle vicieux incessant où chaque reprise de respiration en remplissait de nouveau les poumons. Ce désert avait inspiré bien des légendes, occultes, aux fins tragiques, personne ne s’y aventurait. Du moins en temps normal. Car en ce jour, une personne tentait d’y tracer son chemin, malgré la rudesse du lieu, malgré son absence totale de clémence, et sa capacité à faire disparaître quiconque ne le prendrait pas au sérieux. La motivation était là, peut-être un peu de folie aussi. Il savait que cela serait épuisant, éreintant, et probablement mortel, mais il n’avait pas d’autre choix. Devant la nécessité d’accomplir sa mission le plus vite possible, ce désert était devenu un choix aussi dangereux qu’inéluctable.
Sur un rayon de plus d’une journée de marche, il n’y avait que lui, et celui qu’il cherchait, aucune ville, aucune auberge, aucune escale possible.
Il ne pouvait plus faire demi-tour. Beaucoup de personnes se seraient perdues mais ses capacités lui permettaient, malgré l’absence quasi-totale de visibilité de connaître son chemin. Alors il le suivait, inlassablement, n’étant freiné que par des contraintes physiques, mais nullement par son mental.
PiR BDA ne lâcherait rien avant d’arriver à son objectif. Retrouver la seule personne qui pourrait l’aider dans sa quête. Si le désert ne le tuait pas, rien ne lui garantissait que ce ne serait pas Gentil Mari qui le ferait. Mais il n’avait pas, il n’avait plus le choix. Alors il avançait. Contre le vent, le sable, la fatigue, la douleur. Plusieurs fois il avait cru être suivi, mais très vite son esprit lui rappela que cela était impossible, alors il continuait son chemin.
Après plus d’une journée de marche, le vent se fit plus calme, le sable devint moins tranchant, moins agressif, et une once de lumière semblait même parvenir à se frayer un chemin dans cette éternelle tempête. Il touchait à son but. Tandis qu’il continuait sa route, tout se métamorphosa autour de lui, progressivement. Le vent qui n'avait eut de cesse de le ralentir se tût subitement. Le sable demeura inerte, mort, impuissant, une lumière sombre avait envahit l’espace. On n’y voyait comme en plein jour, mais aucun soleil. L'origine de cette lumière était une énigme, elle paraissait spontanée. Le sol devint dur, et totalement plat. Les appuis n'en furent que plus aisés, mais la dureté du sol résonnait sous chacun des pas de PiR BDA. Aucun doute, il était arrivé.
Des plaques tranchantes plantées à la verticale déchiraient le sol, il y en avait des dizaines, des centaines, peut être des milliers. Leur disposition n’avait rien d’hasardeuse. Chacune de ces plaques était au centimètre près, disposée pour bloquer au maximum le vent, et ne laisser passer qu’une légère brise au ras du sol, balayant le sable pour que jamais celui-ci ne s’accumule. Il n’y avait aucun bruit, le moindre pas de PiR BDA aussi silencieux et furtif soit-il, était une cacophonie brisant l’éternel silence qui régnait en ce lieu.
Ici tout n’était que mort et métal.
Une seule personne pouvait vivre, survivre, en ce lieu ; son concepteur, Gentil Mari.
A quiconque aurait été assez fou pour s’y rendre, l’endroit serai un labyrinthe éternel et mortel où chaque malheureux serait venu se perdre. PiR BDA, lui,  n'avait pas le choix. Il traça son chemin entre les plaques de métal, toutes similaires, séparées par le même espace, atteintes par la même rouille, pareilles à une armées de clones métalliques plantés là.
**
            — Et on est sur que c’est ici ? demanda Michael
            — Je fais confiance à notre informateur, lui rétorqua Tiben,
sans trainer le pas.
            —  Oui, enfin, lui aussi avait confiance en nous au départ, répondit Michael, et au final tu l’as lâché du haut du toit de l’auberge.
            — Et il n’en est pas mort, ce n’était que le prix des mensonges qu’ils nous avaient servis. Avant de se raviser...
            — Vu l’état de ses chevilles après l’atterrissage, il va beaucoup moins bien marcher maintenant.
            — Au final il s’en est bien sorti, n’est ce pas Fluo ? demanda Tiben.
            — Oui, répondit la magicienne qui marchait quelques pas devant ses deux compagnons de route, il aurait pu avoir des blessures plus graves, mais durant sa chute j’ai pris le temps lancer un sort de protection.
            — Qui n’a pas l’air d’avoir très bien marché au niveau des malléoles, vu leur angulation après son atterrissage, rétorqua Michael sur un ton sarcastique.
            — Certes, mais il nous avait menti, alors on n’allait pas lui offrir un saut dans le vide pour le plaisir. Il devait assumer la conséquence de ses actes, s’exclama Fluorette, d’un ton calme qui apaisa un peu la discussion.
            — Mais rien ne nous obligeait à le faire tomber ! argumenta Michael.
            — Certes, et rien ne l’obligeait à nous mentir avant de se raviser, répliqua Fluorette.

Tiben s’interposa devant Michael, arrêtant nette la marche du groupe.
            — Ecoute, je te suis reconnaissant. Je sais que je te dois beaucoup pour ce qui est arrivé à Lodegrien. Ensuite, tu as demandé à venir avec nous, et nous avons accepté. Nous t’avons expliqué notre activité et notre mission actuelle. Après quoi tu as pris ta décision en connaissance de cause. Nous n’avons jamais prétendu être des saints, ni suivre les règles de bonne conduite. Nous accomplissons des missions pour lesquelles nous sommes payés. Pour que ça fonctionne correctement il faut que notre réputation soit à la hauteur de nos tarifs. Ce n’est pas en tergiversant, en se faisant des amis à chaque rencontre, en jouant les bons samaritains que nous allons perdurer dans ce métier. Nos méthodes sont ce qu’elles sont parce qu’elles ont fait leurs preuves. Je peux tout à fait comprendre que ça soit difficile pour toi à accepter et à admettre. Mais tu n’as aucun engagement à notre égard. Ta présence peut être précieuse, mais si ça ne te convient pas, aucune chaine ne te retient.

            — Tiben a raison. Nous ne sommes pas des ange, loin de là, mais nous suivons notre chemin, et nous sommes ravis de le faire avec toi à nos cotés, conclu Fluorette avant de reprendre la marche pour inviter ses compagnons à faire de même.

Il y eut un silence. La tension était retombée. Michael ne disait plus un mot. Il n’était pas déçu ou en colère. Il découvrait juste un mode de vie et une philosophie qu’il ne connaissait pas. Bien sur, en tant que voleur depuis son plus jeune âge, il n'était pas un exemple de civisme lui non plus, mais jusque là il n'avait jamais blessé intentionnellement qui que ce soit, sauf pour assurer sa propre survie. Tout n’était pas comme il l’espérait initialement, mais au fond de lui il savait qu’il n’aurait voulu être ailleurs pour rien au monde. Cette aventure, ce goût de l’inconnu, et ce sentiment d’appartenance à une équipe, lui avait manqué, toute sa vie.
Tiben ressentait encore cette gêne dans son ventre depuis qu’il avait ingurgité le poison quelques jours auparavant. Avec l’aide de Michael et grâce à la magie et aux connaissances en potion de Fluorette, il avait pu s’en sortir vivant, mais une douleur persistait. Il n’avait pas pour caractère de le signaler et avait décidé de maintenir une allure vive depuis leur départ. Leur dernier informateur, qui s’était révélé fort utile, mais qui apparemment ne savait pas voler, leur avait donné une indication primordiale.
Peut être étaient-ils enfin à portée de leur objectif. Il ne fallait pas faiblir, pas maintenant, pas après tout ce chemin, toutes ces épreuves. Quand Fluorette avait parlé de cette mission à Tiben, il avait longuement hésité. Ce type de requête n’était pas dans leurs habitudes, et son commanditaire encore moins. Une chose était sûre, si la décision n’avait pas été immédiate, une fois leur accord donné, il était évident qu’ils sacrifieraient tout leur temps et leur énergie cette quête.
La mer était à portée de vue, le bruit de ses vagues commençait à leur arriver.
            — Nous y sommes, signifia Fluorette, donne moi le papier s’il te plait.

Elle tendit sa main vers Michael qui lui donna le papier sur lequel il avait dessiné les descriptions de l’informateur.

            — Merci. Il nous faut donc trouver l’amas rocheux correspondant à ce croquis, dit elle en montrant du doigt le dessin.
            — Avec une marge d’erreur non négligeable, tint à souligner Michael, ce schéma a quand même été fait d’après une description obtenue sous la contrainte.
            — Ne perdons pas un instant alors. Soyons attentifs ! s’exclama Tiben.
            — Pour gagner du temps, nous devrions nous séparer. La plage s’étire aussi bien à droite qu’à gauche. Je vais aller avec Michael dans cette direction, toi tu iras dans l’autre, proposa Fluorette.

Elle donna une fiole à Tiben.
            — Si tu trouves la zone que nous cherchons, brise la fiole et je nous téléporterais sur ta position. Et si nous trouvons, je te ramène jusqu’à nous, mais pour le coup sans te prévenir, donc pardon d’avance pour les nausées, s’excusa Fluorette.
            — Allons-y, lança Michael dans un élan de motivation partagé.

** 

Il avançait, bien sur ses appuis. Connaissant bien celui qu’il venait voir, il savait que la partie la plus dangereuse de son périple commençait maintenant.
Son intuition était la bonne. Il y eut un sifflement. Vif.
PiR BDA eut à peine le temps de se décaler sur le coté pour éviter qu’une lame de métal pas plus grande qu'une poignard ne le transperce de part en part, au niveau du flanc droit.
Cette attaque fut suivi dans le même temps par une autre. Un autre bout de métal, tranchant, venu de nulle part, projeté violemment dans sa direction.
Cette fois ci, il eut le temps de sortir son épée de son fourreau. C’est elle qui dévia le projectile sur le coté. Les vibrations de son arme après ce choc lui prouvaient qu’une seule erreur  lui serait fatale. Mais il lui était impossible de faire machine arrière. Il lui fallait avancer. Jusqu’à atteindre son but.
Le danger suivant ne vint pas de face, mais du coté droit. La plaque de métal de plusieurs mètres de haut, plantée dans le sol se détacha brutalement et alla s’écraser violement sur celle qui était à gauche PiR. Il se jeta vers l’avant pour éviter d’être aplati entre les deux plaques.
            — Je ne suis pas là pour t’attaquer. Arrête ça tout de suite s’il te plait. J’ai besoin de ton aide, c’est tout, hurla PiR BDA, conscient que ces attaques étaient l’œuvre de Gentil Mari.

A peine eut-il terminé sa phrase qu’il lui fallu esquiver une nouveau projectile, une nouvelle fois avec l’aide de son épée.
            — Ça suffit maintenant. Tu sais très bien que je ne te veux aucun mal. Je viens te voir en ami.

Un silence. Un calme inquiétant s’installa. Pas un bruit, pas un souffle. PiR se demanda ce qui allait suivre. Il était sur ses gardes, prêt à éviter une nouvelle attaque qui pouvait venir de n’importe quelle direction, sous n’importe quel aspect.
Le temps sembla se figer. PiR restait sur sa position., mais après un long moment d’expectative et d’observation, il décida de reprendre sa route. Toujours sur le qui-vive.
Plus rien ne bougeait autour de lui, ni le sable, ni le vent. Tout semblait comme éteint, figé. Cela ne le rassurait pas. Mais sans obstacle clairement défini, il avançait.
Finalement, il arriva jusqu’au lieu de résidence Gentil Mari, sans encombre. Devant lui se dressait une maison entièrement en métal, totalement asymétrique, comme si des morceaux de métal de toute taille, de toute forme, de toute couleur avaient été assemblé entre eux. Cela paraissait aussi brouillon que résistant.
L'une des plaques se souleva, comme une invitation à entrer. PiR BDA, toujours méfiant, s'y infiltra, plus que jamais sur ses appuis, prêt à esquiver une nouvelle attaque.
L'intérieur était aménagé comme un logement classique, seul sa structure tout en métal était surprenante. Gentil Mari était assis, la main droite posée sur un bloc de métal imposant. Il était calme.
            — Qu'est ce que tu fais ici ?
            — J'ai besoin de ton aide.
            — Tu sais que je ne me suis pas exilé ici de gaieté de coeur, et encore moins pour que l'on vienne me voir.
            — Je le sais, et crois bien que si je suis venu jusqu'ici c'est que j'ai éliminé d'abord toutes les autres solutions. Mais tu n'étais pas obligé d'essayer de me tuer pour autant.
            — Je ne suis obligé de rien du tout en effet. Même pas de continuer à discuter avec toi. Alors les remarques de ce genre tu peux les garder pour toi si tu veux pouvoir développer la raison de ta venue dans cette demeure avant d'en être expulsé.

PiR BDA savait qu'il n'était pas en position de force. Il connaissait les capacités de Gentil Mari. Il savait qu'il prenait un risque majeur en venant jusqu'ici.
Ils s'étaient connus il y quelques années. Originaires tous les deux du Cälël Toril, PiR BDA était le plus jeune maitre d'arme du royaume, Gentil Mari, un guerrier discret mais aux talents reconnus au sein des cälëli. Les deux se connaissaient et se respectaient. Ils avaient plusieurs fois combattu ensemble et partageait ce recul vis à vis des ordres venant d'en haut. Sans devenir des mutins, ils savaient l'un l'autre que leurs bras n'appartenaient qu'à eux et à aucune autre autorité et que seul le partage de l'avis des décisionnaires motivait leur allégeance. Gentil Mari était, bien malgré lui, plus connu dans les terres cälëli. Ses capacités lame en main en avait fait une des icones du royaume. Son image et les rumeurs, mystiques, mais jamais prouvées qui l'entouraient étaient d'autant plus exacerbés par sa discrétion et son refus de demeurer entre les murs des différentes cités. Il avait en effet toujours préféré vivre à distance des villes. Les dirigeants s'en accommodaient car il répondait toujours présent, avec la même efficacité, lorsque son aide était requise. Mais la bataille de Locast changea tout cela. Acculés par un contingent de guerriers dont l'origine et les motivations restaient un mystère, mais qui avançait sans laisser de survivant sur son passage vers la capitale, les dirigeants cälelï décidèrent d'envoyer un imposant régiment pour stopper cette intrusion sur leurs terres. Sans en être le commandant, Gentil Mari était parmi les hommes réquisitionnés pour cette contre attaque. La rencontre des deux armées fut aussi terrible que courte. Les cälëli furent vite dépassés. Beaucoup d'hommes dans leurs rangs tombèrent dès les premières minutes de l'affrontement.
Le bruit du métal frappant contre lui même inondait la plaine dont l'herbe devenait de plus en plus rouge. La défaite était inélutable. Quatre guerriers décidèrent d'attaquer simultanément, en cercle, Gentil Mari. Il ne pouvait parer toutes ces attaques. Alors que les lames n'étaient plus qu'à quelques centimètres de lui, il frappe le sol avec son poing, de toutes ses forces. Les épées se figèrent dans l'espace et dans le temps. Les guerriers emportés par leur élan, basculèrent soudainement, se blessant pour certains avec leurs propres armes. Tous les regards se tournèrent vers cette scène incroyable. Gentil Mari se releva, son regard était devenu sombre, et son corps semblait dégager une aura démoniaque. Toutes les lames au sol se mirent à voler dans les airs comme par magie. Elles s'envolèrent, à une vitesse extrême et se plantèrent dans tous les ennemis restants. La bataille était gagnée. Malgré cela, aucun cri de victoire. Le pouvoir que Gentil Mari venait de révéler avait tétanisé de peur les hommes de son propre camp. Il fallut un certain temps avant que les survivants ne quittent le terrain. Gentil Mari ne pouvait ignorer les regard emplis de crainte et de méfiance qui le fixait. Ne participant pas au débriefing avec les dirigeants cälëli, Gentil Mari retourna à son domicile.
Une semaine plus tard, un émissaire cälëli frappa à sa porte. Les dirigeants voulaient s'entretenir avec lui sur les événements de Locast, cela n'était pas une demande mais un ordre venant des plus hautes autorités. Il refusa, malgré les avertissements de l'émissaire sur les conséquences de ce choix. Gentil Mari n'aima pas ces menaces, il était primordial pour lui de garder une certaine distance, depuis toujours, et d'autant plus depuis qu'il avait révélé ses capacités. Conscient du danger qu'il pouvait représenter, il avait jusqu'à ce jour décidé de taire son don. La suite lui prouva qu'il avait eu raison. Les regards, les mains tremblantes, plus rien n'était pareil quand il retourna pour la première fois en ville faire quelques achats. Il n'était pas le bienvenue, il ne l'était plus. Tout avait changé. Alors qu'il rentrait à son domicile, il remarqua un groupe d'une dizaine d'homme avec qui il avait combattu qui l'attendait. Leurs ordres étaient de le ramener de gré ou de force pour un entretien avec les dirigeants cälëli.
La peur qu'il leur inspirait suintait de leurs armures. A la tête de ce contingent, PiR BDA. Ce dernier lui proposa un entretien en tête à tête chez lui, ses hommes restants de l'autre coté des murs de la maison. Il accepta. PiR BDA lui expliqua qu'il comprenait son attitude, il ne chercha pas un seul instant à le convaincre de venir. Ils se connaissaient trop bien. Mais il savait aussi qu'un affrontement serait probablement la pire des solutions pour tout le monde. Ils s'entretinrent sur les nouvelles ambitions des dirigeants cälëli suite à la découverte du pouvoir du Gentil Mari et sur le fait que cela ne pourrait se terminer pacifiquement dans un sens ou dans l'autre. Il lui proposa de quitter la région, et de se faire discret, de profiter d'un anonymat sécurisant le temps que tout cela se tasse. Gentil Mari dût se rendre à l'évidence.
En sortant de la maison, PiR BDA ordonna à ses hommes de laisser partir Gentil Mari. Mais l'un d'eux refusa. Il expliqua que les dirigeants cälëli s'attendaient à cette issue et lui avait demandé d'empêcher cela en prenant la commandement du contingent à la place de PiR BDA si ce scénario se confirmait. Il aux hommes de les encercler et somma les 2 guerriers de se rendre et de ne pas devenir des ennemis du royaume en s'élevant contre une décision des autorités. PiR BDA sortit son épée, hurla qu'il faisait une grave erreur. Gentil Mari regarda l'homme qui s'élevait contre lui et lui tourna le dos pour partir. L'homme donna l'ordre d'attaquer. PiR BDA tenta de les raisonner, mais en vain. Gentil Mari se retourna. Leurs armures se comprimèrent subitement, les empêchant de respirer et de faire le moindre mouvement. Puis il reprit sa route, sans courir.
Ce fut la dernière fois que les deux hommes se croisèrent jusqu'à ce jour. Suite à cet événements, Gentil Mari et PiR BDA quittèrent les terres du Cälël Torildn chacun de leur coté.

            — Il se passe beaucoup de choses ces derniers temps. Qui me dépassent, qui nous dépassent, reprit PiR BDA.           
            — Je le sais, crois moi, je le sais bien. Cela fait des années que je suis ici à apprendre à développer un pouvoir que j'ai renié trop longtemps. Cela n'a fait que confirmer à quel point je peux être un danger pour les autres, mais je perçois aussi certaines choses grâce à lui. Le métal parle. Cela peut te paraître fou, mais je l'entends, et sa voix n'a pas de limite. Les armes qui se frappent, les armures qui s'agitent, les fondations qui s'effondrent, celles qui se dressent. Je ressens tout cela.
            — Je... je ne pensais pas que ton pouvoir était si vaste.
            — Ce n'est pas le sujet. Dis moi ce que tu veux, maintenant que tu es là.
            — Je suis à la recherche d'une bague. Une bague très particulière. Unique. Je voulais te demander ton aide pour la retrouver. J'ai bien l'impression que malgré mes connaissances des armes, je risque d'échouer si je tente cela seul. Je n'ai confiance qu'en très peu de personnes, les rares autres sont déjà engagés dans des missions dont je ne saurais les détourner.
            —Tu as cru que tu allais me faire reprendre les armes et sortir de la prison et de la solitude que je me suis moi même imposées ?
            — Oui, et devant l'urgence de la situation, tu m'es apparu comme la meilleure aide possible.

PiR BDA voyait que son plan s'avérait encore plus compliqué qu'il ne l'avait prévu. Et le ton inflexible de son vieil ami lui fit comprendre qu'il ne pourrait obtenir ce qu'il était venu chercher.
            — Je ne peux pas donner satisfaction à ta requête. Je n'en suis pas désolé. Et cela n'est pas négociable. Je ne prendrais pas les armes, et je ne quitterai pas ce lieu. Tu es venu ici pour rien.

Une plaque de métal de la maison se souleva, il y eut un sifflement, quelque chose se planta dans l'épaule gauche de PiR BDA.

**

— Je crois que c'est ici, annonça Michael.
Fluorette regarda de nouveau le croquis qu'ils avaient dessiné selon la description de leur informateur désormais boiteux.
     Bien vu, dit elle.

Le relief qu'ils recherchaient était composé de 4 rochers disposés en losange. D'après leurs indications les rochers étaient assez visibles, mais en réalité deux d'entre eux dépassaient à peine la hauteur de la mer. Sans une recherche des plus attentives ils auraient pu passer à coté sans les voir des dizaines de fois.

Fluorette lança un sort de téléportation pour Tiben. Ce dernier surprit par l'effet, se retrouva saisi par un mal de ventre brutal dont il ne fut soulagé que par une gerbe conséquente.
— C'est pénible quand même. C'était le premier jour depuis longtemps où j'arrivais à garder un repas, s'agaça-t-il.
— Je m'excuse, mais je t'avais prévenu, lui rappela Fluorette.
— Je sais, mais j'espérais juste que ce serait moi qui trouverait les rochers, cela m'aurait évité ce désagrément.
— Bon, maintenant qu'on a trouvé le rocher, qu'est-ce qu'il faut faire ? demanda Michael.
— Apparemment il faudrait les "activer" pour qu'ils ouvrent un portail qui devrait nous mener là où se trouve la bague.
— Du moins on l'espère, conclut Tiben.
— Ne perdons pas plus de temps. Michael tu grimpes sur ce rocher, et toi Tiben prend celui là, il est un peu moins immergé, je sais que tu n'aimes pas ça.
     Pas du tout même, rajouta Tiben qui ne comprenait pas l'attrait des humains pour les baignades et autres enfantillages aquatiques.

Fluorette monta sur le rocher qui faisait face à celui de Michael.

Ils étaient désormais tous les trois en équilibre, les pieds un peu plus dans l'eau pour Fluorette et Michael, à quelques mètres de la frontière entre la fin de la plage et le début de la mer.
Fluorette ferma les yeux et commença à réciter l'incantation que leur avait transmise leur informateur.
Le quatrième rocher coula quasi instantanément lorsqu’elle eut terminée, comme aspiré par les fonds marins.
Il y eut un léger tremblement, Fluorette manqua de perdre l'équilibre mais se redressa très vite. Les trois rochers se mirent alors à décoller du sol, subitement. Ils prirent très vite de la hauteur, dix, vingt, trente, ils ne s'arrêtèrent qu'à presque quarante mètres du sol.
Leur trajectoire parfaitement longiligne ne fit tomber aucun des trois aventuriers malgré l'effet de surprise.
Les rochers se stoppèrent tout aussi brutalement qu'ils avaient décollé, ce qui fut plus difficile à gérer. Cet effet, ajouté à la peur de la chute manqua de faire tomber Fluorette qui se retrouva à genoux quelques instants avant de réussir à se remettre debout. Tiben et Michael avaient une agilité certaine qui leur permit de conservant un semblant de stabilité supplémentaire.
— Ok, alors ça je n'ai pas aimé du tout, s'exclama Fluorette
— Effectivement, c'était assez imprévu, rajouta Michael
— Et toujours aucun portail à l'horizon, nota Tiben
Quatre autres rochers arrivèrent à leur hauteur. La disposition en losange s’était muée en un octogone irrégulier. Tiben et Fluorette étaient séparés par deux rochers, tandis qu'un seul s’intercalait entre Michael et le khajit.
— Ok, très bien, c'est quoi le délire maintenant ?, s'agaça Tiben.
Il aurait préféré ne pas avoir la réponse à sa question. Une forme commença à grossir sur le rocher à gauche de Fluorette. Une boule de terre, volante, mouvante, qui se condensait, et gonflait, en boucle, jusqu'à faire la taille de presque deux humains. Elle se sculpta progressivement pour laissa apparaître un golem.
Fluorette eut un rire nerveux. Elle sauta sur le rocher à sa droite pour s'éloigner un peu du golem qui ne tarda pas, une fois sa mise en forme terminée, à se fixer sur elle.

Il sauta avec une aisance déconcertante sur le rocher qui le séparait de Fluorette et amorça une attaque avec son bras droit.
Tiben surgit d'un bond pour le couper dans son attaque. Son intention était de le faire tomber mais le golem ne bougea pas d'un centimètre malgré l'élan du khajit. Cependant cela interrompit son attaque et permit à Fluorette de se décaler d'un rocher supplémentaire.
Michael fit de même pour lui laisser de la marge en cas de besoin.
Tiben sauta du golem jusqu'au rocher adjacent, sur la gauche de sa position, là où il était apparu initialement, son but était clairement de l'éloigner de Fluorette.
Michael lança un couteau en direction du golem, mais il fut absorbé, dévoré par les entrailles du golem qui le renvoya immédiatement en direction de l’envoyeur. Michael l'esquiva in extremis en se laissant tomber du rocher, ne se retenant que par les bras avant de se hisser à nouveau.
— Ok, alors on va oublier cette approche, ironisa-t-il.
— Et du coup, comment on se débarrasse de cette chose ? demanda Tiben qui semblait était devenu la prochaine cible du golem.
— C'est un golem d'argile, ça me semble assez compliqué. C'est la première fois que j'en vois un. Et ce que j'en connais ne provient que de légendes anciennes, expliqua Fluorette.
— Ce sera toujours mieux que rien, rétorqua Michael.

Tiben tenta une nouvelle projection, espérant avoir plus de réussite que la dernière fois. Les deux pieds en avant, il s'élança de toute sa puissance vers la tête du golem. Mais ce dernier ne flancha toujours pas. Pire, il lui attrapa la queue et le projeta vers Fluorette.
Elle tomba sous le choc, et n’était plus retenue que par Tiben qui s'était lui-même agrippé miraculeusement avec son autre main au rocher.

Michael comprit que s'il ne détournait pas l'attention du golem ses amis ne pourraient survivre à une prochaine attaque tant qu'ils ne seraient pas de nouveau debout chacun sur un rocher.
Il sauta un rocher, puis un autre.
— Viens par là un peu toi si t'es un... euh... golem !

On pouvait sentir la peur dans son intimidation maladroite. Mais rien ne pouvait le détourner de son élan. Fluorette et Tiben étaient ses amis et il était prêt à risquer de chuter pour les protéger.
Le golem se tourna vers et projeta son poing qui s'allongea jusqu'à Michael.
Il y eut un coup, puis deux, puis trois. Il les esquiva les uns après les autres, tentant de mettre des petits coups de couteau au passage, mais sans réussite.
Finalement, en faisant une nouvelle parade, il remarqua que sa contre-attaque laissa pour la première fois une marque sur le bras du golem qui rétracta aussitôt son membre.

Sa lame était rouge vif, et dégageait une chaleur extrême qu’il pouvait ressentir depuis le pommeau. Un rapide coup d'oeil vers Fluorette lui permit de comprendre, que remise sur son rocher, la magicienne utilisait ses pouvoirs pour chauffer sa lame à blanc afin de réussir à blesser leur ennemi.
— Il doit y avoir une inscription sur lui. Il faut la trouver, conseilla Fluorette à Tiben.
— Je vais voir de plus près, dit il.
— Très bien mais fais attention à toi.
— Tu me connais.
— Justement.
Tiben se rua de nouveau sur le golem, la queue bien collée au corps cette fois. Il le parcourut sous tous les angles, tentant de le griffer au passage. Évitant ses tentatives de prise par des changements rapides et agiles de position.
— Sur la base de la nuque ! hurla-t-il.
— Qu'est ce qui est marqué ? demanda Fluorette
— Un triangle bizarre, deux ronds l'un dans l'autre et une espèce de feuille
Fluorette se concentra. Elle essayait de bien visualiser ce que lui décrivait Tiben.
Le khajit se projeta alors loin du golem conscient qu'il ne pourrait esquiver éternellement ses attaques.
— J'ai compris, s'exclama Fluorette, c'est de l'Yggdral ancien. Ça veut dire vérité.
— Ok, génial, et maintenant on fait quoi ? demanda Michael
— Il faut dessiner un cercle avec un point central juste après le dernier signe, dit-elle.
— Michael, je détourne son attention, toi tu utilises ta lame pour lui graver ça sous la nuque, proposa Tiben
     Ok !
— Alors, monsieur le caillou vivant, comme ça on veut nous faire faire le grand saut ? plaisanta Tiben en sautant de nouveau sur le golem. Cette attaque obligea le monstre à tourner le dos au jeune voleur. Le golem qui avait comprit les déplacements de Tiben l'attrapa au vol cette fois.
Mais Michael se jeta sur lui, s'accrocha tant bien que mal et planta le bout de sa lame dans la bas de sa nuque pour y graver le cercle.
Le golem avait saisi Tiben avec ses deux mains et le portait au dessus de sa tête.
Il l'abaissa subitement vers son genou pour lui briser le dos, mais fut interrompu dans son attaque. Il lacha Tiben qui sauta jusqu’au rocher le plus proche.
Le golem poussa un cri rauque avant de tomber à la renverse.
Michael, qui n'avait pas pu trouver l'élan s'en détacha et tomba avec lui. Mais Fluorette pu le maintenir quelques secondes dans les airs pour que Tiben l'attrape à son tour et l'empêche de s'écraser quarante mètres plus bas.
— Beau travail d'équipe, rigola Michael encore un peu sous le choc des derniers instants.

Les trois aventuriers remarquèrent que les rochers étaient désormais liés par des filaments jaunes qui convergeaient vers le centre de la structure qu'ils formaient.
Il y eut une grande lumière et un portail géant apparut devant eux, un portail octogonal et horizontal couvrant tout l'espace entre les rochers.
— Je crois qu'il va falloir sauter, annonça Fluorette.

**
     Qu'est ce que... , PiR BDA fut saisi par la douleur.

Gentil Mari ne comprit pas ce qui venait de se passer. Comment avait-il pu être pris au dépourvu ? Comment quelqu'un avait pu venir jusqu'à son repère sans qu’il ne sente sa présence ?
Deux silhouettes apparurent dans la maison de Gentil Mari. Ce dernier lança une petite plaque de métal pointue vers l'une des deux silhouettes, mais en vain, l'objet fut stoppé dans sa course.
— Tu ne devrais pas bouger davantage monsieur le mage de métal dit une voix féminine.

Gentil Mari sentit que son pouvoir était contenu. Mais il savait en retour que celle qui le neutralisait se bloquait elle-même en contre partie.
— C'est toi que nous voulons, l'autre ne nous sert à rien dit elle.

La deuxième silhouette, qui se révéla être aussi une femme s'avança vers PiR BDA.
— Tu as aimé mon petit cadeau ? demanda-t-elle en le regardant droit dans les yeux.
— Comment êtes vous arrivées ici ? les interrogea Gentil Mari.
— Tout simplement en suivant ton ami, à distance, et en nous débarrassant de tout ce que nous pouvions porter de métallique sur nous pour que tu ne puisses pas nous sentir arriver. Nous te cherchions depuis quelques temps. Nous avons mis du temps à te trouver, mais la réputation qui te précède n'est en rien usurpée. Je suis impressionnée. Cependant cela ne m'empêchera pas de te tuer si tu ne fais pas ce que je te demande.

Lara Cockroft et Mémédoc portaient uniquement des vêtements en tissu, aucun bijou, aucun ornement. Mémédoc avait deux lames taillées dans du bois, accroché à sa ceinture en tissu. La troisième était dans la main de PiR BDA qui venait de l'extraire de son épaule.
Mémédoc l'attaqua pour lui asséner le coup de grâce mais PiR BDA para habilement l’assaut et lui donna un double coup de pied dans le ventre. Profitant de son avantage il se glissa derrière elle et vint poser sa propre lame sous la gorge.
— Vous ne devriez pas prendre de haut vos adversaires, ironisa Gentil Mari
— Maintenant ça suffit, vous allez nous dire qui vous êtes et ce que vous venez faire ici, s'énerva PiR BDA.
— Oh, du calme joli garçon, rigola Lara Cockroft, comme je l'ai dit nous sommes là pour votre ami. Il sait où est la bague que nous cherchons, et surtout il est le seul à pouvoir nous y emmener.
— Vous... vous aussi ? Mais... alors c'est vous qui avez attaqué le roi Nico D ?
— Tout à fait. Dis donc, tu comprends vite. Je vois que cette bague attire toutes les convoitises. Mais cela ne m'intéresse pas. Toi, le mage de métal, tu peux sentir cette bague, tout comme moi, alors tu sais où nous devons aller pour la récupérer, et tu sais aussi qu’il va me falloir ta participation, expliqua Lara Cockroft.
— Hors de question que je fasse cela, si aucun portail autre que les siens ne peuvent mener à son repère ce n'est pas pour rien, répondit Gentil Mari, de plus je ne vois aucune raison de vous aider. Votre amie est en mauvaise posture, quand à nous, nous nous neutralisons l'un l'autre.
— Tu crois ça ? dit une troisième voix féminine qui surgit derrière PiR BDA et lui porta un coup violent derrière la tête
— Comme tu peux le voir, nous ne sous estimons rien du tout mage de métal, rétorqua Lara Cockroft.
— C'est qu'il est pas mal le jeune homme, remarqua Zoralie en regardant PiR BDA inconscient, tandis qu'elle tendit la main à Mémédoc pour l'aider à se relever, il pourrait faire un parfait remplaçant pour Qffwffq.
— Ce n'est pas faux, rigola Lara Cockroft, malheureusement, j'ai peur que nos chemins ne se séparent.
Elle fit signe à Mémédoc de ne pas le tuer, alors que cette dernière venait de ramasser son couteau au sol, et semblait prête à se venger de l'affront dont elle avait été victime.
— Pas maintenant. Nous avons un autre objectif plus important, expliqua Lara Cockroft.
Zoralie se tourna vers Gentil Mari et utilisa son pouvoir pour faire basculer l'équilibre qui les neutralisait Lara et lui.

Lara, de nouveau libre d'utiliser ses pouvoirs à sa guise, s'approcha de Gentil Mari.
— Tu vas gentiment me donner la main et me permettre d’ouvrir ce portail. Tu n'as pas le choix. Enfin si, tu peux refuser, mais je trouverais bien un autre moyen de m'y rendre, après t'avoir tué.

Gentil Mari dût se rendre à l'évidence.
— Très bien, je vais t'aider, mais celle qui t'attend là-bas sera une adversaire bien plus coriace. Et je ne pleurerai pas votre mort certaine.
— Trève de bavardage mage de métal, dit Lara Cockroft qui commençait à s'impatienter.

Elle prit la main de Gentil Mari, que Zoralie maintenait toujours sous son pouvoir, et récita une incantation en Yggdral ancien.
Le sol se mit à trembler, de plus en plus fort. Les plaques de métal qui composaient la maison claquaient les unes sur les autres.
Un portail se forma, de petite taille, puis commença à s'agrandir, jusqu'à faire la taille d'un humain.

Lara lâcha alors la main de Gentil Mari qui tomba au sol, épuisé.
— Allons-y, dit la magicienne à ses deux consœurs.

**

— C'est sympa ici, mais un peu sombre non ? tenta Michael pour détendre l'atmosphère.
— On ne voit absolument rien, mais en tout cas je n'entends plus le bruit de la mer, et je n'ai plus la sensation que nous soyons à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, se rassura Fluorette.
— Par contre, je sais pas vous, mais moi j'arrive plus à bouger du tout, s'inquiéta Tiben.
— Je confirme.
— Moi aussi non plus.

Une légère lumière commença à s'imposer. Les 3 aventuriers purent voir qu'ils étaient dans une sorte de grotte.

— Vous avez eu raison de mon golem. Je vous félicite. Mais j'espère pour vous que vous êtes arrivés ici par erreur.

 La voix agée et graillonnnante qui venait de prononcer ces mots venait d’une ombre à peine visible, qui se révéla à la lumière en s’approchant d’eux

Petite,  dans une robe noire trainant un peu au sol, le visage marqué par le temps, Fluorette la reconnut tout de suite.  Ses cheveux bleus et son avant bras droit dénudé qui révélait un tatouage unique, un chat borgne ne lui laissait plus aucun doute. Elle se sentit envahi par un vent de panique.
— Oh... non.

Le ton qu'elle utilisa inquiéta Tiben qui la connaissait trop bien pour savoir que cela n'augurait vraiment rien de bon.

**

PiR BDA reprit connaissance. Il vit Gentil Mari allongé sur le sol, à bout de force. Le portail était encore ouvert.

— Que s'est il passé ? demanda-t-il.
— Ce serait trop long à t'expliquer, le portail va bientôt se fermer. Est-ce que tu veux vraiment retrouver cette bague ?
— Oui.
— Au prix de ta vie ?
— S'il le faut oui.
— Dans ce cas prend ce portail, n'attends pas. Mais prépare-toi à mener ton dernier combat.
— Mais pourquoi ? Je ne comprends pas.
— Le portail se referme, plonge. C'est maintenant ou jamais. Moi je ne peux pas et je ne veux pas t'accompagner.
— Très bien, mais je reviendrai, je te le promets.

PiR BDA disparut dans le portail qui se referma juste derrière lui.
Gentil Mari rigola en repensant à la dernière phrase de PiR BDA. Alors que plus personne n'était présent, il lui répondit tout de même.
— C'est gentil, mais pour cela, encore faut il que tu survives à ta rencontre avec Le Bagage.


dimanche 24 avril 2016

Yggdrasil chapitre 6

Chapitre 6

La route s’arrêtait là. Un lac s'étendait à  perte de vue, entouré par les montagnes. La surface était si lisse, qu’elles s’y reflétaient à la perfection. Il aurait été aisé de se tromper entre ce qui était la réalité ou son reflet. Pas une brise, pas un nuage, tout était si calme. Le silence fut interrompu par un hennissement quand Christian Lehmann descendit de sa monture.

            — Tout va bien Nahar. Du calme.

La jument exprimait malgré tout son inquiétude, devant cet endroit calme. Trop calme.

            — Il va falloir que tu m’attendes ici. Je suis désolé.

Christian détacha le fourreau de son épée et l’accrocha à la selle.

            — Je vais faire aussi vite que je peux. Je te le promets.

Il passa sa main dans la crinière de l’animal, puis se dirigea vers le lac. Il entra doucement dans l’eau,  les ondes créées par sa progression détruisirent alors le parfait reflet de la surface. L’eau arriva au dessus de sa taille quand il commença à nager, droit devant.

S'il s'était trouvé quelqu'un au bord du lac, il aurait aperçu un homme, nageant dans le lac, puis disparaitre brutalement, ne laissant derrière lui que les perturbations de l’eau comme seules preuves de son existence réelle.

Il nagea sur une distance de deux kilomètres, jusqu’à ce qu’un îlot apparaisse devant lui. Toujours entouré par les montagnes, cet endroit, à la présence insoupçonnable pour toute personne au bord du lac, baignait dans une paix sans égale.

L’île était recouverte d’une herbe courte, on eut dit l'édredon moelleux d’un lit soyeux et régulier. Une fine parcelle de sable blanc dessinait les contours de l’île et délimitait la frontière entre les éléments comme pour éviter que l’eau n’atteigne l’herbe. La taille de l’îlot aurait du le rendre visible depuis le bord du lac, mais pourtant, seuls ceux qui en connaissaient l’existence pouvait le percevoir.

Sortant de l’eau, trempé, le cavalier solitaire pu profiter de la température ambiante pour sécher sans le moindre frisson.  Une maison se trouvait à une centaine de mètres devant lui. De taille modeste, elle semblait pouvoir accueillir une personne. Mais aucun n'indice ne laissait présager si elle était habitée ou non.
Il s’en approcha, et la contourna, pour atteindre la porte principale ducoté opposé au sien. Il entra, sans frapper.

            — Bonjour, mon vieil ami.

Cette voix venait de la pièce à droite de l’entrée.  Elle était, par sa
sérénité et la bienveillance qu’elle laissait entendre, en totale adéquation
avec le lieu.

            — Assieds-toi. Je termine ce que je fais et je te rejoins tout de suite.

Christian ne répondit pas. Deux sièges se faisaient face séparés par une petite table en bois recouverte d'un cuir parfaitement tanné. Il s'asseya sur celui à sa droite.

Dr Selmer apparu depuis l’espace qui reliait les deux pièces. Assez grand, son visage révélait un homme à l'âge où la vigueur et l'expérience se complètent dans un équilibre parfait. Ce visage n'avait pas bougé, il était le même qu'au temps où il apprenait à son invité à manier l'épée, ou à pister un animal. Il se présenta avec un plateau sur lequel se trouvait une théière et deux verres, tous trois en terre cuite. Il déposa le plateau sur la table, et remplit les deux verres avant de s’asseoir. Christian n’avait toujours pas dit un mot, il fixait la thé qui s'écoulait de la théière.

Une fois le service terminé, il regarda Dr Selmer s'asseoir en face de lui et brisa son silence.

            Tu savais que j’allais venir ?

Il connaissait déjà la réponse.

            — Je sais pourquoi tu es là. Mais j’aimerais tout de même que tu m’expliques, demanda Dr Selmer.
            — Je dois tuer Amrah, la situation l’impose. Tu le sais, il le sait, il marqua une pause, et elle aussi.
            — La question n’est donc pas de savoir qui est au courant, mais plutôt de comment tu comptes t’y prendre.

Dr Selmer restait calme et sa voix, toujours aussi bienveillante, permettait de soulever les questions complexes sans générer de conflit.

            — Je ne sais pas encore exactement. Je ne sais pas encore comment franchir la Porte.

            — Imaginons qu’il y ait un moyen. Tu es de l’autre coté de la Porte. Et après ? Tu te faufiles en plein cœur de son armée, et tu arrives jusqu’à la salle du trône l’épée à la main pour l’attaquer ?
            — Non. Je sais que je n’ai que peu de chance en un contre un. C’est pourquoi je suis venu te voir aujourd’hui.

Dr Selmer le regarda, débordant de compassion, conscient de tout ce qui venait d'évoquer Dr Lehmann. Il connaissait aussi la suite. Mais voyant que son invité avait du mal à aborder la vraie finalité de sa venue en ce lieu, il se décida à amorcer les choses.

            — Dis le.

Christian termina son verre, comme pour se donner du courage.

            — J’ai besoin que tu m’aides à trouver et utiliser Origine.
            — Voilà donc la raison de ta venue, répondit Dr Selmer, sans la moindre once de surprise.

Il y eut un nouveau silence.

            — Je vais te faire gagner du temps, je sais où est l’Epée. Mais ça ne va pas te plaire, lui révéla son hôte.

            — Je pense avoir dépassé depuis longtemps mon quota de mauvaises nouvelles, une de plus ne changera pas grand-chose.

En disant cela, Dr Lehmann réalisa quelle était la réponse qu’il redoutait le plus, et connaissant la manière qu’avait Dr Selmer de peser ses mots avant de les prononcer, il savait que ses pires craintes allaient être confirmées par sa réponse.

            — Elle est déjà au Crestor. En plein cœur de la forteresse d’Amrah. Mais ce n’est pas ton seul problème et tu le sais aussi bien que moi.
            — Je suis aussi venu pour ça. Même si cette réponse complique les choses, cela ne change rien à ce qui doit être fait.
            — Ecoute moi bien. Je sais que le sang de ta mère, qui coule dans tes veines, fait de toi un possible prétendant à Origine, mais ce n’est nullement une garantie.
            — Le rituel pourrait me permettre de m'en assurer, répondit Christian avec assurance.
            — Le rituel peut aussi te tuer ou te rendre fou. Mais tout ce que je pourrais te dire ne serait que perte de temps. Ta décision a été prise à l’instant où tu as eu cette idée. Je l’accepte.

Dr Selmer vida son verre, avant de resservir d'abord son invité et lui ensuite, comme pour signifier la poursuite de la discussion mais sur un autre sujet.

            — C’est elle qui t’a donné cette idée ?
            — Non. Elle n’a fait que m’avertir de ce qui arrivait. Mais elle me connaît, je n’imagine pas un seul instant qu’elle n’ait pas prévu cela depuis le départ.
            — Tu penses qu’elle t’aidera ?
            — Non. Nous en avons déjà discuté. Et tu connais son point de vue.
            — Tu penses qu’il est immuable ?
            — Je ne sais pas. Pour être honnête avec toi, depuis qu’elle est devenue la gardienne suprême, je ne la comprends plus.
            — Tu ne peux pas. Sa position te dépasse. Et tu ne peux imaginer ce que cela représente pour elle, ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent, qui elle est désormais.
            — Si seulement elle acceptait de nous aider. Tout serait déjà terminé.
            — Tout n’est pas aussi simple qu’il y parait. Et rien, dans ce monde, n’est immuable. Pas même les montagnes qui nous entourent.
            — On pourrait presque croire que ce sont ses mots qui sortent de ta bouche.

Dr Selmer se leva.

            — Je te laisse dormir ici. Demain, je ferai le nécessaire pour le rituel. Mais d’ici là repose toi.

Dr Selmer sortit de la maison.

Quand il regarda par la fenêtre, Dr Lehmann remarqua que la nuit était tombée, brutalement, sans qu’il ne s’en rende compte. Etait-il aussi tard quand il était arrivé ? Cette discussion avait- elle été bien plus longue qu’il n’y parut ?

Très vite ces questions perdirent de leur intérêt. Les derniers jours avaient été épuisants pour Dr Lehmann.
Aucun couchage à l’horizon, mais le sol de la maison, à l’image du reste de l’île, était de loin le meilleur couchage auquel il avait pu prétendre depuis longtemps.
Le sommeil s’imposa si vite qu’il n’eut pas le temps de penser à tout ce qui avait été dit, ni à ce qui l’attendait.



Les premières lueurs du jour traversèrent la fenêtre en angle serré pour réveiller doucement Dr Lehmann. Son corps lui paraissait léger, ses blessures, qui le faisaient souffrir chaque jour, semblaient lui offrir un répit qu’il n’espérait plus. Ce genou qui l’avait trahi tant de fois se plia sans difficulté quand il se leva. Un hennissement sembla venir de l’extérieur. Il ouvrit la porte, et remarqua que Nahar était sur l’île, broutant l’herbe qui entourait la maison. Cette attention de Dr Selmer le ravit. Il aurait souhaité l’en remercier de vive voix, mais aucune trace de son vieil ami à l’horizon. Il fit le tour de la maison, et le remarqua. A quelques dizaines de mètres de la maison, sur une dalle surélevée, d’un noir profond, assis. Il regardait vers l’horizon, le dos droit. Seuls ses mouvements respiratoires auraient pu permettre de le différencier d’une statue. Dr Lehmann n’approcha pas, il ne voulait le déranger. Il alla s’asseoir sur l’herbe, un peu plus loin, pour profiter de l’accalmie que lui procurait l’île. Il savait qu’une épreuve importante l’attendait, et savourait d’autant plus cette félicité aussi ambiante qu’éphémère.

Dr Selmer se releva sur sa dalle, et s’approcha de Dr Lehmann.

            — Tu as bien dormi ?
            — Oui. Merci pour ma jument. Je ne sais pas comment tu as fait, mais sache que je t’en suis reconnaissant.

            — De rien, cela ne me coûtait rien de la faire venir ici. Et elle sait se tenir, pas comme le canasson qui te servait de monture avant elle.

Dr Lehmann fut surpris par ce trait d’humour, et l’apprécia d’autant plus. Ils rigolèrent tous les deux, conscients  au fond d’eux qu’apaiser l’atmosphère était un luxe qu’ils ne pourraient pas se permettre longtemps aujourd’hui.

            — Tu es toujours sûr de toi ?
            —  Oui. Plus que jamais.
            — Tu sais que l’épreuve peut te tuer.
            —  Oui.
            — Et que même si cela fonctionnait, et si  par je ne sais quel concours de circonstance, tu te retrouvais en possession d’Origine…

Il ne termina pas sa phrase. Il savait qu’il évoquait une vérité que Dr Lehmann connaissait.

            — Dis-moi quand tu seras prêt.




**

Les rues de Vorrim dégageaient des effluves issues d'un mélange d'épices et d'alcool de mauvaise qualité. Ces allées étaient toujours aussi vivantes, marché implanté, marchands itinérants, bagarres en coin de rue, et entre tout cela, des habitants bien plus calmes, et des voyageurs aux motivations aussi diverses que leurs origines.

            — Je crois que je ne me lasserai jamais de cette ville, s'extasia Uberklaus.

Elle aimait revenir dans cette ville où elle avait grandi, mais où elle ne retournait que rarement désormais. Chaque fois qu'elle arpentait à nouveau ces rues, elle était toujours partagée entre un sentiment de nostalgie et de reconnaissance, consciente que la vie que cette ville avait offerte à ses parents et à elle-même lui avait permis de devenir celle qu'elle était aujourd'hui.
Sa joie ne  lui fit pas oublier pour quelle raison, elle et ses amies étaient venues ici.

            — Tu connais mieux la ville que nous Uberklaus, selon toi, par où devrions-nous commencer ? lui demanda Jaddo.
            — L'auberge du Loup Nocturne, répondit-elle sans hésiter.

Après leur faux contrat d'escorte qui s'était avéré être un piège, elles avaient pu récupérer un lambeau de peau de l'un de leurs assaillants avec un tatouage typique. Elles espéraient bien qu'ici quelqu'un pourrait leur en dire davantage pour leur permettre de remonter jusqu'au commanditaire pour lui exprimer, à leur manière, leur opinion sur le sujet.

Sans Trema était silencieuse, elle restait méfiante. Jusqu'à ce jour, personne n'avait jamais osé les attaquer, ou alors des imprudents mal renseignés ignorant leur réputation. Mais dans le cas présent, elles avaient été engagées en connaissance de cause, et malgré cela, quelqu'un avait choisi la confrontation. Cela n'était jamais arrivé. Aussi craignait-elle que cela ne fusse que le début d'un long combat contre un ennemi dont elles ignoraient, le nom, le visage et la motivation.

            — C'est au bout de cette rue, leur indiqua Uberklaus, qui était bien la seule des trois à pouvoir se repérer ici.

Elles s'écartèrent pour laisser passer un chariot de marchandises dont les roues  souffraient sur les pavés asymétriques du chemin. Sa cargaison dégageait une forte odeur d'épice, certains s'en délectaient, d'autres grimaçaient à son passage.

Un rabatteur pour marchand d'armes hurlait.

            — Les meilleures haches de la ville, elles sont chez Greyar, vous ne trouverez nulle part ailleurs une telle qualité. Elles découperaient le vent en deux si cela était visible. Si vous voulez savoir ce qu'est la perfection faite hache, ce mélange de facilité de maniement et de puissance d'attaque, n'hésitez pas, venez chez Greyar.

Jaddo avait bien envie de tester une de ces haches, mais ce n'était pas de le bon moment.

Après une dizaine de mètres, elles arrivèrent à l'auberge du Loup Nocturne.

Un brouhaha s'en échappait, mélange de discussions à haute voix, de musiques, et de bruits de tables et de chaises en mouvement.
Personne ne remarqua leur entrée. Quelques regards se posèrent rapidement sur elle, animés par une curiosité passagère, mais aucune autre réaction.

            — Allons demander au bar, suggéra Uberklaus qui de toute évidence semblait savoir exactement ce qu'elle faisait.

L'auberge était presque pleine, des gens buvaient debout, accoudés sur les escaliers, certains riaient à gorge déployée, d'autres s'énervaient, mais aucun coup ne partait.

Les règles de l'auberge étaient claires. Toute bagarre entraînait le bannissement de l'établissement pour toute personne ayant porté un coup, que ce soit le premier ou un autre. La renommée de l'auberge, la qualité de ses alcools, de ses plats, et le respect que chacun portait pour la propriétaire faisaient que seuls les inconscients et les ignorants osaient outrepasser cette règle. Ils étaient alors vite maîtrisés, sans coup, et jetés hors de l'établissement par certains habitués.

            — Bonjour Higra

La femme qui tenait le bar reconnu tout de suite Uberklaus.

            — Oh mon dieu. Uberklaus, c'est toi ?
            — Oui, répondit-elle en souriant. Elle avait connu Higra il y a plusieurs années, pratiquement du même âge, elles avaient été très proches durant de longues années, avant qu'Uberklaus ne dût quitter la ville.
            — Je suis tellement heureuse de te voir. Cela fait une éternité. Tu dois avoir tellement d'histoires à raconter, il faut que tu me dises tout.
            — Je suis désolé Higra, je n'ai pas énormément de temps, je suis ici avec des amies, et je voulais savoir si Ydina était là.
            — Mère ? Oui, bien sûr. Elle est à l'étage, dans son bureau. Tout va bien ?
            — Oui, je ne sais que peu de chose, je ne voudrais pas t'impliquer dans quoi que soit, mais je te promets qu'une fois tout ceci terminé je viendrai pour que nous puissions reprendre notre discussion.

Elle se tourna vers Jaddo et Sans Trema.

            — Allons à l'étage.

Une fois devant la porte du bureau d'Ydina, elle frappa deux fois et attendit la permission d'entrée.
La pièce était de petite taille, un bureau au milieu supportait des piles gigantesques de papier, d'autres piles étaient à même le sol. Ydina assise à son bureau, se leva en reconnaissant Uberklaus.

            — Bonjour Uberklaus.

            — Bonjour Ydina.

Avare en émotion et en marque d'affection, Ydina ne faillit pas à sa réputation.

            — Bonjour madame, dirent à leur tour Sans Trema et Jaddo.
            — Je suis assez occupée avec toute cette paperasse, en quoi puis-je vous aider ?
            — Nous cherchons des renseignements sur une personne ou un lieu, et nous n'avons qu'un tatouage comme indice lui expliqua Uberklaus

Sans Trema sortit le lambeau de peau bien emballé dans la petite sacoche qu'elle portait à sa ceinture et le tendit à Ydina.

Cette dernière mit ses lunettes et le regarda avec attention. Son attitude révéla qu'elle savait quelque chose.

            — Vous devriez aller voir Padre Pio, il pourra vous en dire plus que moi. Vous le trouverez en face du moulin brûlé.

Il était évident pour les trois guerrières qu'Ydina ne voulait pas en dire trop, mais elles ne demandèrent pas d'explication, conscientes qu'elles se heurteraient à un mur.

            — Merci, se contenta de répondre Uberklaus. Nous y allons de ce pas.

Alors que Jaddo avait ouvert la porte, Ydina les interpella.

            — Et faites attention à vous, surtout.

Cette phrase inquiéta fortement Uberklaus qui savait que ce genre de mise en garde de la part d'Ydina n'était jamais dit avec demi-mesure.

Sans Trema interloqua ses deux compagnes.

            — Et si on s'offrait un petit verre avant d'y aller ? Nous marchons sans repos depuis bientôt deux jours, nous finissons par atterrir dans une auberge de bonne qualité, je pense que cela ne nous ferait pas de mal de nous poser quelques minutes avant de reprendre notre quête.

L'idée était plaisante. Aussi, les trois guerrières s'accordèrent une pause alcoolisée, offerte par Higra, avant de partir en direction du moulin brûlé.

            — Je vais tester une des haches de ce Greyar, je vous rejoins là-bas, leur annonça Jaddo.

En face du moulin brûlé, se dressait une bâtisse, un peu bancale, penchant sur la gauche, à l'architecture chaotique, les fenêtres étaient asymétriques, certaines étaient recouvertes d'un épais réseau de lierre grimpant.

Sans Trema et Uberklaus entrèrent.

            — Je peux vous aider ? demanda un homme d'une quarantaine d'années, à la tonsure inégale.
            — Nous cherchons Padre Pio, répondit Sans Trema.

- Vous l'avez devant vous. En quoi puis-je vous être utile ?

Uberklaus regarda la pièce unique que formait le bâtiment, un hall de grande taille, avec plusieurs machines importantes, des tables creuses remplies de pièces jaunes et noires, et du papier, partout, à perte de vue, sur les meubles, au sol, cloué au mur.

Une jeune femme était en train de piocher dans les pièces jaunes et noires et les disposait dans un dispositif d'une grande complexité.

            — Nous avons été dirigées vers vous pour nous donner des informations sur ceci, dit Sans Trema en lui tendant le bout de peau tatoué.

Uberklaus s'approcha de la jeune femme en plein travail, elle ne voulait pas la déranger mais sa curiosité la poussa à essayer de comprendre ce qu'elle faisait et le fonctionnement de cette machine.

            — Bonjour.
            — Bonjour, lui répondit l'inconnue.
            — Je peux vous demander ce que vous faites ?
            — Je prépare le numéro de demain.
            — Le numéro de quoi ? s'interrogea Uberklaus qui comprenait encore moins ce que représentait tout cela.
            — Le journal de demain, je dispose les lettres pour l'impression.

Uberklaus était fascinée et demanda plus de renseignements à la jeune femme.

De son coté, Padre Pio regarda attentivement le lambeau et fit une petite grimace. Il regarda Sans Trema.

            — Où avez-vous eu ceci ?

            — Nous avons été attaquées par des hommes qui portaient ce tatouage, et je voudrais savoir qui ils sont et pourquoi ils nous ont attaquées.
            — Intéressant. Voyez-vous, ce tatouage est une marque d'allégeance au seigneur Amrah, un guerrier aussi mystérieux que puissant. Il dirige les terres du Crestor au sud-est du continent. Pendant des années, les activités de ce royaume sont restées discrètes, confinées derrière des portes infranchissables. Mais depuis quelques semaines, des groupes de soldat d'Amrah ont été vus en différents lieux, sans logique apparente, sans explication. Il y a même un camp assez important qui s'est installé à une journée de marche d'ici, vers la côte.
            — Et les autres rois et dirigeants ne s'en offusquent pas ? demanda Sans Trema.
            — Non, ils ont bien trop peur. Peur de représailles, peur d'un conflit armé, déclaré, officiel contre ce royaume. Il lui accorde alors des passe-droits en échange d'un gage de non-agression.
            — Mais c'est ridicule, en faisant ça il le laisse placer ses pions un peu partout, et le jour où il brisera ce gage, il aura un avantage stratégique décisif.
            — Je le sais bien, dit Padre Pio, et c'est ce que j'essaye de faire comprendre aux gens et aux dirigeants. J'en parle depuis plusieurs jours dans le journal, mais en vain. Les gens préfèrent une paix précaire, et se voilent la face devant l'évidence de ce qui se prépare. L'immobilisme les rassure. Je ne saurais même pas vous dire si en cas de conflit, devant la différence de puissance des armées, certains ne vont pas rejoindre les rangs du Crestor par opportunisme.
            — Et vous, vous n'avez pas peur de tout cela ?
            —Si, mais que puis-je faire d'autre que d'essayer d'ouvrir les yeux des gens ? Et rien qu'en faisant cela, j'ai moi-même été inquiété récemment. Deux hommes d'Amrah, venus me prévenir que si je ne cessais pas mes allégations mensongères, ce lieu finirait dans le même état que le moulin d'en face.
De l'autre coté de la pièce, Uberklaus découvrait le principe de l'imprimerie en masse, cela la fascinait. Aucun journal n'existait quand elle avait quitté la ville. Elle trouvait l'idée merveilleuse.
            — Et donc vous travaillez ici, avec Padre Pio ?
            — Oui, mes parents m'ont demandé de travailler ici et Padre Pio a accepté de me prendre comme apprentie. D'ailleurs, je ne me suis pas présentée, je m'appelle Stockholm.
            — Enchantée, moi c'est Uberklaus. Vous venez d'ici d'ici ?
            — Oui, mes parents habitent un peu en dehors de la ville, j'ai deux frères qui sont engagés dans l'armée de Vorrim, je voulais aussi, mais mes parents ont estimé que ma place n'était pas dans les métiers des armes.

Sans Trema appela Uberklaus pour lui faire un résumé de tout ce que Padre Pio venait de lui apprendre.

Alors qu'elle lui exposait le plan d'attaque du camp dont lui avait parlé le journaliste, une flèche siffla, transperça la fenêtre et se planta dans une des machines.

            — Couchez-vous, hurla Padre Pio.

A peine eurent-ils le temps de se baisser et de se rapprocher des murs que des dizaines de flèches sifflèrent des différentes fenêtres. La porte principale fut alors enfoncée d'un coup de pied puissant et cinq soldats d'Amrah entrèrent dans le bâtiment.

            — Je m'occupe des archers, hurla Uberklaus.

Sans Trema fonça sur le soldat le plus proche, elle lui trancha le bras à hauteur du poignet. Sa main vola, l'épée qu'elle tenait tomba à quelques centimètres de Stockholm qui n'en demandait pas tant.
Sans Trema acheva le soldat en lui ouvrant le bassin de part en part.

Au même instant, un autre ennemi se jeta en direction de Padre Pio qui se mit à courir autour d'une des nombreuses machines.

Stockholm vit un des guerriers s'approcher d'elle, lentement. Elle serra l'épée de toutes ses forces. Son assaillant entama son attaque, d'un coup vertical. Stockholm contra, l'épée en opposition, perpendiculaire. L'homme força, il appuyait de toute sa puissance sur son arme. Sachant que son contre ne tiendrait guère plus longtemps, elle lui asséna un coup de pied dans l'entre-jambe. Décontenancé, il interrompit son attaque. Elle en profita pour lui trancher la tête d'un coup sec, circulaire. Des jets de sang tachèrent les numéros du journal du jour.

Uberklaus ne tenait pas compte du combat à l'intérieur du bâtiment. Elle avait assez confiance en Sans Trema pour savoir que si elle était attaquée, elle serait couverte. Elle se concentra sur les fenêtres d'où étaient venues les flèches.  Elle perçut un mouvement entre le lierre, sur le toit d'en face. Sa flèche partit si vite que sa victime avait déjà sa pointe entre les deux yeux avant de l'entendre siffler. D'après l'attaque initiale, il restait encore deux archers dehors.

Padre Pio continuait d'utiliser une presse à bras, qu'il avait modifié avec un système de levier, pour se tenir éloigné du soldat qui ne le lâchait pas.

Stockholm arriva à toute vitesse, et glissa au sol, balayant au passage les jambes du soldat qui s'en retrouva projeté sur la presse.

Padre Pio se saisit du levier et appuya dessus de toutes ses forces en hurlant :

            — ON...

Il l'activa une seconde fois.

            — N'ENTRAVE

Puis une troisième.

            — PAS

Une quatrième.

            — LA LIBERTE

Une cinquième.

            — DE LA

Et une dernière.

            — PRESSE

Le soldat était inconscient, le visage tuméfié, son sang mêlé à l'encre, le titre du journal du lendemain clairement lisible sur front, imprimé dans sa chair.

Pendant ce temps, Uberklaus avait pu atteindre un deuxième archer. Mais aucune trace du dernier.
Sans Trema esquiva l'attaque latérale d'un autre soldat, et lui sectionna les deux tendons d'Achille en pivotant autour de lui. Ses jambes se désarticulèrent et il tomba, genoux à terre. La dernière chose qu'il pu voir était la lame de la guerrière à un centimètre de son œil.

Uberklaus décida de sortir du bâtiment pour localiser le dernier archer. Cela l'exposait, dans sa position en contre-bas à une attaque facile et difficilement évitable, mais elle n'avait pas le choix. Elle regarda avec attention ; aucune trace de sa cible.

Une flèche siffla, dans sa direction, dans son dos. Elle l'entendit transpercer l'air à toute vitesse.
Elle fut sauvée, in extremis par le soldat que Stockholm jeta par la fenêtre d'un grand coup de pied et qui prit la flèche en plein ventre. Ayant pu repérer sa cible, elle ne faillit pas à sa réputation et d'une flèche habilement placée, la fit trébucher du haut du bâtiment où elle se cachait, réussissant à la toucher à l'épaule pendant sa course.

Sans Trema sortit du bâtiment et attrapa le soldat au sol, le dos brisé, une flèche dans le ventre. Elle le tira par les cheveux et le jeta sur une des machines.

L'homme se mit à rigoler. Elle le frappa de toutes ses forces avec le pommeau de son épée au genou droit. Elle sentit quelque chose se briser.

            — Pourquoi vous nous attaquez ? Pourquoi nous ? hurla-t'elle.

Le soldat riait encore.

Elle attrapa la flèche plantée à quelques centimètres sous son sternum et la fit tourner.

Son rire fut étouffé par une montée de sang dans sa gorge.

            — Dites-moi pourquoi vous faites ça. Qu'est-ce que vous voulez ?

Il cracha avant de pointer du doigts Uberklaus.

            — C'est elle qu'on veut, parvint-il à articuler, et vous allez nous la livrer.
            — Qu'est-ce qui te fait croire ça ? s'énerva Sans Trema qui continuait de tourner la flèche.
            — Parce que nous avons votre amie, et que si vous voulez la revoir, il faudra qu'elle aille se rendre au camp d'elle même. Il gaspa.

- Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Jaddo ? Vous avez Jaddo ? hurla Uberklaus dépassée par tout ce qu'elle venait d'entendre.
Le soldat ne répondit pas. Il était mort.

Sans Trema jeta son épée dans un accès de colère.

            — Nous n'avons pas le choix, dit Uberklaus qui reprenait peu à peu son calme, nous devons aller au camp. Cela ne change rien. Nous allons y aller, libérer Jaddo et tuer le moindre soldat qui voudra nous barrer la route.
            — A deux, c'est du suicide. Mais tu as raison, annonça Sans Trema.
            — Je viens avec vous, annonça Stockholm.
            —Tu es de toute évidence une guerrière de qualité, mais ceci n'est pas ton combat, et nos chances de réussite sont faibles.

            — Cela n'a aucune importance.
            — Très bien, alors nous partons sur le champ, conclut Uberklaus pour signifier son approbation à la décision qui venait d'être prise.

**
Dr Lehmann était assis sur la dalle noire où se trouvait Dr Selmer auparavant. Il était assis dans la même position. Dr Selmer s’approcha de lui et lui donna un flacon, apparemment vide.

            — Quand tu voudras commencer l’épreuve, brise le flacon.

Dr Lehmann le regarda avec gratitude, conscient que cela n’était pas facile pour son ami non plus. Il regarda devant lui, inspira profondément pour profiter, peut être pour une dernière fois, de l’odeur de l’herbe qui l’entourait, et brisa le flacon en le serrant dans sa main gauche.

Sur le coup, il ne remarqua aucun changement. Très vite, il ne sentit plus la présence de Dr Selmer à ses cotés. L’air n’avait plus la même odeur, il était devenu plus lourd, étouffant, chaque inspiration lui brûlait les poumons. La luminosité s’intensifia, devint presque aveuglante, elle l’agressait, puis disparut, ne laissant plus place qu’aux ténèbres. Dr Lehmann se retrouva entouré par une obscurité impénétrable, la seule lumière qui arrivait à percer ce lieu semblait provenir de son propre corps.
Il posa sa main sur le sol mais ne rencontra aucun obstacle. Pour autant la gravité était bien présente, il ne flottait pas et était bien assis sur quelque chose, mais d’impalpable.
Sans se laisser dominer par la panique, il se releva. Il n’y avait aucun repère, pas de haut, pas de bas, ni de gauche, ou de droite, aucun élément pour se repérer. Il décida d’avancer dans ce qui lui semblait être la direction avant.

Il marcha, deux minutes, deux heures, peut être deux jours. Il n’avait aucune notion de temps. Son voyage fut interrompu par l’apparition de forme, composée d’un léger nuage grisâtre, qui très vite se modela en une forme humaine. Il reconnut Doc Arnica, dix ans plus tôt, lorsqu’ils avaient eu un énième débat sur leurs choix de vie, et la prise de position. Dr Lehmann était spectateur, présent sans l’être. Il se remémora cette scène tandis que le nuage s’évaporait, avant de se reformer à nouveau, derrière lui. Cette fois il reconnu la silhouette d’Amrah. Son ennemi, souriant, rigolant, une chope à la main, trinquant avec une autre forme, non matérialisée, mais dont Dr Lehmann connaissait l’identité. Le nuage s’effaça de nouveau. Ce cycle continua quelques temps. Il revit le jour où il monta à cheval pour la première fois. Les instants les plus importants de sa vie se déroulèrent sous ses yeux, le jour funeste où la vision des flammes brisa les espoirs de sa famille, le jour où les chemins se séparèrent, sans un mot.  Il y eut un long moment, sans qu’aucune autre forme ne se dessina. Dr Lehmann reprit sa marche dans une direction inconnue. Son sens de combattant le poussa soudain à sortir son épée. Il contra une attaque qui venait de sa droite. Le bruit du métal contre lui-même résonna un court instant avant de laisser place à un silence pesant. Il venait d’arrêter une attaque, la force ressentie, la vibration de sa lame résonnant jusqu’à sa main ne laissait pas de doute, mais rien n’était apparu, et de fait rien n’avait disparu. Sur le qui-vive, il avança de nouveau. La douleur de son genou se réveilla brutalement. Pris au dépourvu, il perdit l’équilibre et se retrouva à genoux. Le nuage refit surface, depuis le néant, et se matérialisa de nouveau. La silhouette qui se forma devant lui, n’était autre que lui-même, se tendant la main pour se relever. A peine, debout, une douleur le saisit au ventre. La chair se déchira, le sang, incolore, invisible, gicla. Une lame, sa propre lame, tenue par l’ombre qui venait de l’aider le traversait de part en part. Il se sentit mourir, tomba en arrière. Il avait échoué. Il allait mourir là, maintenant. Sans avoir pu réussir l’épreuve, sans avoir pu être là pour ses amis, ses proches, ceux qu’il avait promis de protéger. Il les abandonnait, pour ce combat qu’il ne fallait pas perdre. Il se maudissait d’avoir failli. Son regard se flouta. Son corps lui sembla s’alourdir, puis devenir plus léger qu’une plume. Il sentait le sang remonter dans son œsophage et s’infiltrer dans sa trachée, dans ses bronches, il en cracha une partie, mais en vain. Bientôt il ne sentit plus rien. Il y eut une respiration, une dernière respiration, puis le silence, un silence absolu. Mais ce silence, il le percevait. Comment cela était il possible ? Il ne comprenait pas. Il était mort. Comment pouvait-il même simplement se faire cette remarque ? Tout cela n'avait aucun sens. Sans même s’en rendre compte, il était de nouveau debout, sans douleur, sans trou au milieu du ventre. Tout cela était incompréhensible. Une peur le saisit, une peur dont il ne comprenait pas l’origine. Elle l’envahissait, le dévorait. Allait-il être enfermé dans ce néant pour l’éternité ? Quel était le but de tout cela ? Que devait-il faire ? Il regarda autour de lui, toujours rien. Aucune lumière, aucune forme. Rien. Il hurla, de toutes ses forces. Il hurla aussi fort qu’il le put. Son premier hurlement s’effaça très vite dans le silence qui l’entourait. Il hurla de nouveau. Cette fois-ci, son cri sembla porter plus loin. Il hurla, si fort, qu’il en pleura. Ce troisième cri posséda l’espace, se dispersa partout, sans perdre de sa force. Une lumière sembla poindre, depuis un horizon inatteignable, mais elle se rapprochait, vite, si vite. En un instant, il fut entouré d’une lumière éclatante, aveuglante, mais bienveillante. Il eut un rire nerveux, un fou rire. Il se laissa tomber sur ce qui s’apparentait au sol et rit de plus belle, avec force, détermination. Son rire résonna de toute part. Le sol se déroba soudainement sous lui. Il tomba, sans limite, dans un infini sans fond. Il eut une seconde de peur, qui s’effaça très vite. Il continuait de tomber, sans savoir depuis combien de temps, sans savoir où il allait arriver, s’il allait atterrir quelque part, s’écraser ou être amorti par quelque chose. Cela n’avait plus d’importance. Il ne contrôlait rien. Il lâcha prise, complètement, sans crainte, sans angoisse. La chute dura une heure, puis un jour, puis un an, puis une vie, le temps n'avait plus cours. Cela fit naître en lui un sentiment de plénitude, de légèreté, de paix. Il était calme, serein. il ne savait pas, mais il était apaisé, le souffle lent, régulier, les yeux fermés, il se laissait tomber, il n'était plus mais cela n'avait aucune importance. Si le temps infini qui se déroulait pouvait lui faire confondre ou oublier des souvenirs, des visages, des noms, des lieux, sa détermination ne déclina jamais,  il n'y avait plus de désir, plus d'orgueil, plus de colère, de jalousie ou de peur, simplement l'importance de sa mission, au delà de son être, au delà de tout attachement, au delà de tout obstacle. A mesure que les émotions s'effilaient et disparaissaient dans sa chute sans fin, il se sentit entouré, possédé par une plénitude, une paix sans faille, sans limite. Il lâcha prise, abandonna la moindre idée de contrôle et accepta la suite quelle qu'elle serait.

Il sentit alors une main se poser sur son épaule. Il ouvrit ses yeux. Il était sur l’île de Dr Selmer. Il le regardait, sans que son visage ne révèle aucune expression de joie ou de tristesse. Il réalisa que l’épreuve était terminée. Cela lui avait semblé le temps de deux vies, mais seulement quelques secondes s’étaient écoulées.

            — Ne bouge pas. Capte cet instant, lui dit Dr Selmer.

Dr Lehmann demeura un instant dans la même position, saisissant l’émotion qui l’avait habité au moment où l’épreuve se terminait.
           
            — Rejoins-moi de l’autre coté de la maison quand tu seras prêt.