vendredi 4 septembre 2015

Tu bluffes Martoni ! (Urgences adultes)

Pêle-mêle d’autres choses me reviennent. Les plats du midi, les mêmes que ceux des patients, à la consistance unique, entre le solide et le liquide, avec un gout si particulier qu’il doit y avoir des réunions hebdomadaires à l’Académie Française pour trouver des nouveaux adjectifs péjoratifs afin de le décrire. La première fois que j’ai scié une alliance, la première fois que j’ai remis une malléole en place, sur une cheville qui avait profité du verglas pour permettre au pied de la patiente d’être entièrement perpendiculaire (et non péremptoire) à sa jambe, cette mamie démente qui m’a mise à genou avec une clé de bras parce qu’elle ne voulait pas que je lui colle ses patchs ECG. Et mon premier vrai bluff. Car il ne faut pas le nier, parfois la médecine c’est aussi du bluff. Ce n’est pas une question de mensonge, plus de la manipulation à but thérapeutique. Un jour de tri, en train de voir les patients à la chaîne, voila que je reçois dans mon box Mr T, atteint de schizophrénie, suivi à l’autre bout d’Ile de France, mais qui a décidé ce jour là de venir dans l’hôpital où je travaille. C’est trop d’attention, je suis touché. Mr T déambulait depuis une bonne heure dans la salle d’attente sous les regards inquiets des autres patients. Alors que je l’appelle dans mon box, il m’y rejoint dans son élan ininterrompu depuis son arrivée aux urgences. Son entrée dans le box ne changera en rien sa marche, et le voila en train de faire des tours sur lui-même.

-          Je vous écoute, Mr T, qu’est ce qui vous arrive ?
-          J’ai eu mon Risperdal ce matin, la piqûre.
-          Très bien. Et du coup qu’est ce qui vous arrive ? (deuxième fois)
-          Depuis je ne peux plus m’arrêter de marcher.
-          Ah bon, et pourquoi ?
-          Mais parce que sinon je vais mourir !

Je ne sais quelle tête j’ai fait à ce moment précis, mais ça devait être la même que celle de quelqu’un en train de diviser 697 par 13 en calcul mental.

-          Parfait, parfait. Je reviens. Vous voulez que je vous ouvre le box pour que vous ayez plus d’espace pour marcher en attendant que je revienne ?
-          Merci docteur.

Je suis donc allé voir le psychiatre des urgences, qui m’a gentiment expliqué qu’il ne pouvait rien y faire, que ce n’était pas une urgence et qu’il fallait que je le redirige vers le CMP de son secteur. Merci. (Ce « Merci » vous est offert pour l’amicale des sarcastiques qui se retiennent de ne pas te faire manger leur stéthoscope par le nez). Fantastique. Je n’ai plus qu’à chanter All by Myself, fermer les yeux, prier très fort et espérer que si mon cœur est pur, une solution à ce problème s’offre à moi. Une épiphanie. C’est exactement ce qui s’est produit. Le bluff, il ne me restait plus que ça. Je suis allé à la pharmacie des urgences, j’ai pris deux petites gélules et je suis retourné dans mon box.

-          Bon, j’ai parlé avec le spécialiste, et il connait le problème. Il m’a donné le médicament pour votre problème.
-          C’est vrai ?
-          Oui (#pokerface). Je vais vous le donner. Ça devrait faire effet d’ici 10 minutes.


Et c’est ainsi que la malédiction de la marche incessante du Risperdal injectable fut vaincue par deux spasfon.


Petite note supplémentaire :
Suite à une discussion sur twitter, j'apprends l'existence de la tasikinésie akathisie, effet secondaire possible des neuroleptiques qui s'apparente à ce que présentait ce jour ce patient. Symptomes pouvant entrainer des douleurs importantes. J'ai donc eu de la chance ce jour là que cela se termine bien avec un placebo, mais si c'était à refaire je harcelerai davantage mon chef ou le psy de garde pour discuter d'une prise en charge. Merci à Psylene Med

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire